
Il est tôt ce matin, et le soleil se lève doucement sur le parc où s’entraînent maîtres et chiens. Les ordres fusent, rythmant l’air d’un « assis », « couché », « au pied ». À première vue, l’harmonie règne. Mais derrière cette image bien huilée, une question me taraude : pourquoi demandons-nous tant d’obéissance à nos chiens ?
Les Rouages de l’Obéissance : Une Réflexion sur la Relation Humain-Chien
Le besoin humain de contrôle
L’idée d’éduquer son chien repose souvent sur une volonté louable : lui apprendre à vivre en société, à ne pas se mettre en danger, et à partager sereinement notre quotidien. Mais à force de vouloir modeler leur comportement, ne risquons-nous pas de dépasser cette simple harmonie pour en faire des êtres robotisés, déconnectés de leur propre nature ?
Pour l’humain, l’obéissance d’un chien peut être flatteuse. Un compagnon qui répond au doigt et à l’œil, qui reste à nos côtés quoi qu’il arrive, qui exécute nos demandes avec précision… Cela donne un sentiment de maîtrise et d’accomplissement. Mais qu’en est-il du chien dans tout cela ? Trouve-t-il, lui, du plaisir dans ces répétitions incessantes, dans cette rigueur imposée ?
Un plaisir… mais pour qui ?
Si l’on regarde un chien s’entraîner, son enthousiasme peut sembler évident : il remue la queue, il suit les gestes de son “maître” avec attention, il semble satisfait de recevoir des félicitations ou une friandise. Mais est-ce un véritable plaisir ou une simple réponse conditionnée ? Apprendre à un chien à répondre à des ordres, c’est avant tout jouer sur son instinct : l’envie de plaire, le désir de récompense, la crainte de décevoir.
Et là réside le dilemme. L’obéissance procure-t-elle un bonheur intrinsèque au chien, ou n’est-elle qu’un moyen pour lui de satisfaire son “maître” ? Lorsqu’un chien exécute un ordre, c’est souvent pour éviter une tension ou pour chercher une approbation. Mais au fond, ce plaisir appartient-il au chien… ou uniquement à l’humain ?
Les inconvénients d’une telle mécanique
À trop vouloir une obéissance parfaite, des effets secondaires peuvent émerger. Tant sur la santé physique que sur le bien-être mental du chien.
- Les impacts sur la santé physique
Répéter les mêmes exercices encore et encore, sans tenir compte de la morphologie ou des limites du chien, peut être préjudiciable. Par exemple :
- Les positions répétées comme l’assis ou le couché peuvent exercer une pression excessive sur les articulations, surtout chez les chiens de grande taille ou vieillissants.
- Les marches au pied prolongées obligent les chiens à ajuster leur allure naturelle, ce qui peut entraîner des compensations musculaires ou des douleurs chroniques.
- Les entraînements sans échauffement, notamment dans des disciplines comme l’agility, augmentent le risque de blessures articulaires ou musculaires.
- Les effets sur le comportement
Un chien soumis à des ordres constants peut développer des troubles du comportement, tels que :
- La dépendance : Il devient incapable de prendre des initiatives, attendant toujours une directive pour agir.
- Le stress : L’exigence constante de perfection peut générer une anxiété chez le chien, qui craint de mal faire.
- La perte de spontanéité : Peu à peu, le chien peut perdre son côté joyeux et curieux, réduisant son monde à une série d’ordres à exécuter.
Une relation à réinventer
Alors, pourquoi pratiquer l’obéissance ? Peut-être pour poser des bases de communication, pour enseigner au chien quelques notions essentielles à une cohabitation harmonieuse. Mais il faut savoir s’arrêter à temps, ne pas laisser cette quête de contrôle dénaturer la relation.
Imaginez un instant une autre approche. Au lieu de demander constamment à un chien de s’asseoir ou de marcher au pied, laissez-lui la liberté d’explorer. Observez-le courir, flairer, jouer. Vous découvrirez alors une facette de lui plus authentique, plus joyeuse, dénuée de cette tension invisible qui pèse souvent sur les épaules des chiens trop « bien dressés ».
Le choix de la complicité plutôt que du contrôle
L’obéissance, lorsqu’elle est pratiquée avec modération et bienveillance, peut être un outil . Mais elle ne doit jamais devenir une fin en soi. Le plaisir du chien, sa santé, son épanouissement doivent primer sur nos envies de perfection ou de performance. Une relation saine avec son chien ne repose pas sur une série de commandes impeccablement exécutées, mais sur une complicité mutuelle, où chacun respecte l’autre dans sa nature et ses besoins.
Alors, la prochaine fois que vous demanderez à votre chien de « rester », posez-vous cette simple question : est-ce pour lui, ou pour moi ? Si la réponse penche trop du côté humain, il est peut-être temps de réajuster votre relation, pour qu’elle devienne un véritable dialogue, et non un simple monologue.
Comment je vois ma relation avec mon chien aujourd'hui ....
J’ai quitté le club canin. C’est une décision que j’ai prise, une réflexion qui a mûri au fil du temps, en observant, en écoutant, et surtout en comprenant ce que signifiait vraiment cette expérience pour les chiens et pour moi.
Au début, je pensais offrir à mon chien une activité enrichissante, un moment de partage et d’apprentissage. Mais à mesure que j’avançais, je me suis formée et un malaise s’est installé. J’ai réalisé que ce que l’on appelle « éducation » dans ces clubs ressemble souvent à un simple conditionnement. Le chien, peu importe son état d’esprit ou son confort, est poussé à obéir. Même lorsqu’il est mal à l’aise, sa voix reste inaudible. Et nous, sans vraiment nous en rendre compte, provoquons des comportements indésirables en ignorant les signaux subtils qu’il nous adresse.
Dans les clubs, on expose souvent des chiens à des situations qu’ils ne sont pas prêts à gérer. On les confronte les uns aux autres alors qu’ils n’ont jamais appris à se tolérer, encore moins à communiquer dans des environnements stressants. Ils n’apprennent ni la frustration ni à répondre à leurs propres besoins sociaux. Le club, en fin de compte, se distingue d’un éducateur par ses méthodes et ses attentes : répéter inlassablement le même geste, encore et encore. Imaginez-vous faire cela, alors que vous êtes fatigué ou dans un endroit qui vous oppresse ? Cela finit par vous rendre incapable de décider par vous-même, dépendant d’une autorité extérieure.
J’ai vu des chiens perdre leur autonomie, traités comme des machines que l’on contrôle avec une télécommande. Prenons l’exemple de la marche au pied. Pourquoi obliger un chien à marcher à notre rythme, lui qui avance sur quatre pattes quand nous en avons deux ? Notre allure n’est pas la sienne, et ces exercices peuvent le frustrer, le blesser, ou le forcer à compenser de manière inadaptée.
Avec mon chien, je veux autre chose. Une relation basée sur la confiance, la compréhension et le respect mutuel. Je ne veux pas être constamment sur son dos parce qu’il dépasse mon pied, mais plutôt lui laisser la liberté d’être un chien, d’explorer et de s’exprimer. Je préfère des activités qui l’épanouissent réellement, plutôt que des exercices conçus pour satisfaire des normes humaines.
Et puis, il y a l’agility. Cela peut être un jeu merveilleux, mais combien de clubs prennent vraiment en compte la morphologie ou l’état physique du chien ? Combien échauffent leurs chiens avant de leur demander des sauts, des virages serrés, des mouvements qui mettent à mal leurs articulations ? Combien réalisent que ces exercices, faits sans précaution, peuvent causer des blessures, particulièrement chez les chiens vieillissants ?
Je ne critique pas tous les clubs. Certains travaillent avec bienveillance, respectant les besoins et les limites des chiens autant que des humains. Mais je m’interroge : à quel prix enseignons-nous ces comportements ? Oui, il est utile que le chien sache s’asseoir ou se coucher, pour faciliter une consultation vétérinaire, par exemple. Mais le faire systématiquement, mécaniquement, coupe sa capacité à communiquer, et peut même devenir une contrainte douloureuse s’il est forcé à répéter ces positions encore et encore.
En fin de compte, la question est simple : pourquoi cherchons-nous tant à contrôler nos animaux ? Ils ont, eux aussi, le droit de vivre leur vie, non pas comme des outils ou des extensions de nos désirs, mais comme des êtres vivants, avec leurs propres besoins, leurs propres envies. Nos chiens ne rêvent pas de compétitions, de médailles, ou de prouesses pour impressionner les autres. Ils agissent, bien souvent, pour nous faire plaisir. Mais cette relation-là, est-elle juste ?
Pendant des siècles, les chiens ont été réduits à des rôles d’esclaves, d’outils de guerre, de divertissements cruels. Aujourd’hui encore, dans un monde qui se veut moderne, nous continuons parfois à les façonner à notre image, à nos exigences, oubliant que leur bonheur ne ressemble pas au nôtre.
Alors, j’ai choisi de dire stop. De poser les bonnes questions. De laisser mon chien vivre comme un chien. Et surtout, de cultiver avec lui une relation fondée sur l’amour, le respect et la liberté. Car, au fond, c’est cela qui compte vraiment.